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Book

Techniques en philosophie

Many stimulating philosophical analyses have been written on contemporary technology; this book examines on the contrary how changes in contemporary technological environment have been reflected onto philosophy itself. The book shows how technological changes have marked a number of key concepts of philosophy, such as the object, now thought in terms of contact and connexion, the subject, now thought in function of prostheticity, space, now explained as displace, nature, now conceived of as techno-nature or tchno-éco-logie, or being, now theorized as onto-techno-logy. The book also examines the way in which philosophy progresses by interrogating its own techniques and whatever cannot be seized by them.

Author
Susanna Lindberg
Date
22 July 2020

Intimes, ubiquitaires, hétérogènes, plurielles et plastiques, les technologies contemporaines tendent à échapper à la prise de la philosophie classique de la technique, qui a formulé ses concepts dans le contexte des techniques artisanales, puis de la première et de la deuxième industrialisation. Certes, un nombre croissant d’essais analysent aujourd’hui les changements de l’environnement technologique, digital et NBIC (nano-bio-info-cogno). Comme la plupart sont motivés par le besoin de les évaluer moralement, éthiquement et politiquement, peu ont prêté attention aux transformations que ces transformations imposent en retour à la philosophie elle-même. Voici ce que ce livre entend faire.

Le premier objectif du livre est de montrer comment les changements technologiques ont laissé leur marque sur nombreux concepts fondamentaux de la philosophie. À cet effet, à partir d’une comparaison de Heidegger et de Simondon, je montre comment l’objet perd sa compacité substantielle, tout en se donnant à penser en termes de contact et de connexion (la meilleure illustration de ce changement est l’ordinateur, qui n’est en réalité qu’un terminal ne valant que par sa connectivité). Ensuite, le sujet sera repensé, à partir de Derrida et Stiegler, en termes de l’existence prothétique. Dans un dialogue où interviennent Hegel et Heidegger aussi bien que Augé, Certeau et Sloterdijk, je montre comment ce qu’était le monde de la technique devient de plus en plus une « déplace » qui ne consiste plus qu’en transports. Je montre comment la nature a perdu son autonomie en apparaissant comme une techno-nature, dont je développe le concept en dialogue avec des techno-écologies conçues, à partir de Guattari et de Latour, entre autres par Timothy Morton et Jane Bennett. Je montrerai aussi en détail comment la connaissance, la science, l’art et la pensée reflètent la technicisation du monde en s’y confrontant ou en explorant leur propre technicité. Enfin, je montre comment l’imagerie de la technique fonctionne aujourd’hui dans l’ontologie, comme par exemple dans l’ontologie des machines (Bryant), dans l’ontologie de l’être-outil (Harman) ou dans la pensée de l’être en termes d’écotechnie (Nancy).

Le deuxième objectif du livre est de montrer si et comment ces modifications de la philosophie de la technique se reflètent sur la philosophie elle-même. Dans les développements mentionnés plus haut on peut distinguer au moins trois gestes principaux : 1) L’herméneutique de l’environnement technologique. 2) La clarification des concepts ainsi formulés par rapport à la philosophie classique, parfois au moyen d’une déconstruction des concepts fondamentaux de la philosophie au moyen de leurs pendants techniques. 3) La configuration de nouveaux ensembles de pensée. Chaque fois, le motif de la technique, jadis rejeté car associé aux mensonges de l’artifice, s’avère utile lorsqu’il s’agit de réarticuler la vérité en termes de la matérialité.

L’objectif dernier du livre est d’ouvrir la question des techniques de la philosophie elle-même. En utilisant le motif de la technique comme l’outil heuristique privilégié, le livre interroge le rapport de la philosophie à ses propres techniques sachant que, d’un côté, la philosophie n’a pas de techniques car, comme insiste à le dire Heidegger, elle avance sans chemins tracés, et que d’un autre côté, la philosophie n’a jamais cessé de systématiser ses propres outils et techniques (logiques, jugements et toutes les techniques de pensée utilisées ici même). Qu’est-ce que la philosophie lorsqu’elle se découvre à la fois utilisateur des techniques philosophiques disponibles (analytiques, phénoménologiques, déconstructrices…) et inventeur, qui se sait à la fois incapable de faire table rase avec l’histoire de la philosophie, et pourtant capable de composer avec les éléments déjà disponibles en les défaisant, décomposant, réassemblant et parfois en y ajoutant quelque chose de neuf, peut-être ? La philosophie n’est pas une simple technique de pensée, et il n’existe pas de technique de création philosophique. Mais la philosophie avance pourtant en s’interrogeant sur ses propres techniques et sur ce qui refuse de s’y réduire.

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